“Whirlwindsong” au Château des Adhémar: orchestrer le sensible
Gunther Ludwig
Titre d’un ensemble d’oeuvres, intitulé de l’exposition au centre d’art du château des Adhémar, Whirlwindsong évoque d’emblée les territoires arpentés par Cécile Le Talec : son, musique, langage, espace. Convoqués comme manifestations naturelles et construites, ils participent d’interactions élaborées entre les hommes et leur milieu, que l’artiste explore sous des formes et des géographies multiples.
Cécile Le Talec travaille avec la plasticité du son, sensation auditive produite par une onde acoustique qui se déplace et vibre dans l’air ou la matière. Elle observe sa propagation, le façonnage de son propre espace, le transport de signes et langages émis par des corps minéraux, végétaux, animaux, liquides, gazeux…
L’exposition souligne la dimension musicale du travail, entre autres avec l’ensemble Whirlwindsong. Parmi les pièces créées spécifiquement, il est au noeud de l’oeuvre. Indépendantes et pourtant liées dans la salle du premier étage du château, pour laquelle elles ont été pensées, ces oeuvres structurent la logique de l’exposition. Un film-partition, réalisé à partir du tourbillon marin de Naruto au Japon, diffuse les sons du phénomène naturel. Il est projeté en regard de Groundsong, installation constituée d’un plancher chantant et d’un paysage mouvant réalisé avec la technique des encres suminagashi. Inspirés du « parquet rossignol » du palais de Nijo à Kyoto, des sons de sources multiples sont déclenchés par les pas des spectateurs et s’entremêlent à ceux des nappes du tourbillon. Enfin, une version longue du film donne lieu à la composition d’une oeuvre électroacoustique par Haruyuki Suzuki, qui sera interprétée au cours d’un concert-performance. L’ensemble invite à une perception d’ordre synesthésie où toucher, vue et ouïe sont associés, sensations et informations se superposent.
Cette interdépendance plastique a quelque chose à voir avec le mythe de la tour de Babel, pas seulement concernant l’incommunicabilité des langues. Elle entretient aussi une relation avec l’idée de lieu ancré comme emblème de rassemblement, d’espace traversé depuis le fondement de la tour, dans la terre, jusqu’à son sommet, au ciel. Nous sommes entre production de signes de ralliement et tentative d’explicitation de l’illimité, de l’incompréhensible. Les oeuvres ont partie liée avec cette oscillation, entre mesure des éléments et action sur/avec/à partir d’eux.
Du mythe, essai d’explication de la faiblesse et de la dispersion humaine, sourd cette autre idée chère à l’artiste : l’utopie d’une transcription d’éléments – chants des oiseaux, musique des arbres, sons des étoiles ou de la terre, langues – qui ne communiquent pas directement. Entreprise démesurée dont le levier poétique est considérable, telles les correspondances tissées que propose Panoramique polyphonique dans la loggia. Car Cécile Le Talec reste fascinée par cet état d’incompréhension, de dialogue improbable. Elle s’essaie à ces concordances grâce à des systèmes d’équivalence qui les spatialisent, leur donne forme plastique. Ces tentatives vont de pair avec les notions revendiquées d’expérimentation ou de laboratoire. Elle qui n’est pas musicienne, pas plus que linguiste, ethnologue ou ingénieure du son, se frotte pourtant à tous ces domaines. Elle imagine des dispositifs, des objets qui renvoient mentalement à une potentielle porosité. Dans l’exposition, Dièse (archet magnétique), Prosodie, Pupitre, Phylactère ou encore Serinette sont ces « outils » censés permettre la lecture ou le jeu d’une « partition » écrite, dite, chantée par la science des codes, cartes imprimés, mécanismes, etc.
Toutes ces machines sont fictives car, au-delà de la réalité des analogies, leur activation reste incertaine, ardue voire dangereuse. Ainsi la série « Les Impurs », ensemble de percussions de verre réunies dans la chapelle du château. S’en saisir implique un double risque d’échec : ne pas savoir en jouer ou les briser… Malgré l’instabilité des hypothèses, Cécile Le Talec cherche l’écho de la dimension immatérielle et fugace de ses explorations dans la matière. Les Pavillons Naruto, sculptures sonores qui empruntent leur dessin aux phonographes, réalisées en céramique, diffusent une composition sonore réalisée à partir des sons du vent capturés autour du château. Tout comme Stanza (dalle de marbre scagliola sonore), elle explore la « légèreté » du son et la tangibilité de la substance qu’ilparcourt poétiquement.
Cet entre-deux est mené à une sorte de paroxysme dans Plastersong- percussion et guitare électrique, vidéos projetées dans la chapelle du château. Sur des écrans verticaux, deux hommes « statues » se libèrent peu à peu de leur gangue pour se réaproprier le mouvement, la capacité de faire voyager les sons, la possibilité d’une communication. Deux oeuvres en miroir, comme un symbole des chimères, des traversées sensibles que Cécile Le Talec s’évertue à orchestrer.